dimanche 20 octobre 2013

DES PÈLERINS ET DES PIGEONS.


À dire vrai, il n’est guère aisé de prier en arabe, penser dans sa langue maternelle, étatiser en français, sans heurts, ni confusion et en toute sérénité. 
Amadou Guèye Ngom, Écrivain, critique d’art et chroniqueur sénégalais rappelé à Dieu en janvier 2010.

"Le royaume de Dieu est en toi et tout autour de toi, pas dans les palais de bois et de pierre..." Évangile de Saint Thomas



Au début, il était question de réfléchir sur le fait religieux au Sénégal mais, convenons-en, le sujet nécessite des développements plus importants que les modestes contributions de nos pages. En effet, nous ne parlerons pas de principes républicains comme la laïcité, ni du dialogue islamo-chrétien dont notre pays se proclame le chantre, ni de nos multiples confréries qui rivalisent de représentativité et d’imposture, ni des guides dont les actes et les paroles défient l’État, la morale et le bon sens, ni des mafieux jouisseurs qui spolient les citoyens au nom de Dieu et de leurs ancêtres, ni même de la Tabaski, cette occasion annuelle d’exacerber les inconséquences les plus incompréhensibles de notre peuple !


Les professions de foi en Dieu ont pris une telle ampleur au Sénégal que la moindre interrogation sur les pratiques religieuses devient suspecte. Or, beaucoup de maux seraient atténués si l’on acceptait de se soumettre à des introspections élémentaires sur notre spiritualité. Entre les héritages revendiqués, les éruditions déclarées, les noblesses et les puretés historiographiques, le Sénégal est quasiment pris en otage par sa richesse religieuse si particulière. Tout événement touchant à la religion devient une affaire d’État pour peu qu’il soit parrainé par un hypothétique descendant d’un de nos saints. Le mimétisme est tel que le pourquoi du comment est devenu un tabou absolu. Après tout, il suffit de montrer ostensiblement qu’on respecte les piliers de l’Islam et d’avoir un « sérigne » (guide spirituel) pour se fondre dans la masse. « Nit defay am kilifeu ! ». C’est là le 1er secret de l’estime populaire au Sénégal, du moins, celui qui est à la portée de tous. Une fois l’étiquette « Djoulite » (bon musulman) ou « talibé » (adeptes) acquise, on peut allègrement tricher, mentir, frauder, forniquer, trahir, voler, blesser, humilier, calomnier, se vanter, ignorer, marabouter, détruire et vivre dans une nonchalance et une oisiveté hédonique.



Le cinquième pilier de l’Islam qui, normalement, doit concerner peu de Sénégalais, vu l’indigence généralisée de nos populations, constitue le sujet de cet article. Il s’agit du pèlerinage à la Mecque qui est soumis à des conditions matérielles dont l’humanisme théorique honore tout vrai croyant. Car, cette 5ème disposition de l’Islam n’est pas une obligation. Elle s’adresse seulement à ceux qui ont la possibilité physique et les moyens de se payer ce saint privilège. Paradoxalement, l’écrasante majorité des 3 millions de fidèles qui accomplissent ce rite (même s’ils viennent de Suisse, de France ou d’Allemagne) est originaire du Tiers-monde. Pendant que les témoignages se suivent et se ressemblent sur cette expérience sacrée, les candidats au pèlerinage ne cessent d’augmenter, en dépit de la crise. Toutefois le quota du Sénégal qui est habituellement de 10500 têtes a été baissé cette année à 8400 à cause la rénovation titanesque de la Mecque. Une historienne saoudienne s’indignait sur France 24 de l’ambition de transformer la Mecque en Las Vegas et regrettait la disparition de deux tiers du patrimoine historique authentique de la Mecque. Le but de ces travaux est de tripler d’ici 2020 la capacité d’accueil de la ville sainte. Au-delà de l’agrandissement de l’esplanade, il faut des tours, des restaurants, des centres commerciaux, des hôtels et des infrastructures ultra modernes pour recevoir les 10 millions de pèlerins prévisionnels. Le pèlerinage 2012 avait rapporté 16,5 milliard de dollars à l’Arabie Saoudite. La Oumra (petit pèlerinage) et le Hadj (grand pèlerinage), principaux motifs du tourisme cultuel sont la deuxième source de revenu saoudienne après le pétrole. Ils rapportent, selon RFI, une manne financière estimée à près de 50 milliards d’euros. 


Les autorités saoudiennes ont, certainement, raison de prendre des mesures exceptionnelles face à la demande pressante des musulmans du monde qui veulent accomplir la 5ème recommandation. Elles seraient surtout mal inspirées de négliger cette source éternelle de cofinancement. Beaucoup de choses ont, certes, évolué dans l’organisation de l’événement annuel du pèlerinage mais le traitement des fidèles, en particulier, celui des Subsahariens reste à améliorer. Même si on est loin de l’époque mythique des caravanes, où de téméraires pèlerins noirs risquaient d’être enlevés et réduits en esclaves dès qu’ils foulaient des terres arabes ou berbères, le mépris envers les musulmans du sud est encore une réalité. En dehors des marges usuraires des compagnies et des intermédiaires véreux qui les baladent ou les abandonnent parfois, le coût réel de leur séjour sacré est proprement indécent. Le forfait hadj qui a augmenté de plus de 40% en trois ans, les hébergements aléatoires, les arnaques de toute sorte, les prix exorbitants sur place, les vols, la hausse occasionnelle du nombre de mendiants sont autant d’abus et d’injustices faits à ces croyants. Pendant qu’ils sont plumés tels des pigeons en attendant leur retour triomphal au bercail pour recevoir les hommages des proches, leur pays se confond en remerciement pour les aides reçues des pays qu’ils enrichissent. La semaine dernière, les ambassadeurs d’Arabie Saoudite et d’Israël à Dakar avaient respectivement offert 250 et 70 moutons aux musulmans sénégalais démunis pour la fête. Ces dons seront suivis bientôt des 10000 carcasses de viande annuelles dont la médiatisation met toujours mal à l’aise beaucoup de nos concitoyens.

Le 1er vol retour du pèlerinage atterrit à Dakar cette nuit…vers 4h du matin. Il n’est plus possible, comme ça a pu être le cas dans le passé, de laisser croire aux plus humbles que cette expérience est synonyme de sanctification. Il n’est plus possible, non plus, de nier son origine sociale et de fonder une dynastie qui se veut respectable sur la seule base du titre d’Al Hadj, comme avaient pu le faire certains pionniers. Devant la « surmédiatisation » de l’édition 2013 sur certaines chaînes de télévision, les apologies et les exégèses abracadabrantesques de certains reportages, on a juste envie de dire que nul ne connait l’adresse de Dieu. Nous devons orienter nos priorités vers les intérêts et  la dignité de notre Nation. Les Îles du Saloum, l'île de Gorée, le désert de Lompoul, la verte Casamance, la chute d'eau de Dindéfélo...sont aussi des patrimoines du vaste royaume de Dieu.
Latyr DIOUF, CCR France

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    Je retrouve dans votre post une part de vérité et une part de critique subjective. Vous oubliez de dire qu’une bonne partie des pèlerins accomplissent le hadj pour Allah et rien d'autres, le titre Al Hadj nous importe peu, il faut être vraiment ignorant pour tenir de tels propos. Le Hadj est une obligation pour ceux qui ont les moyens physiques et la capacité financière, ce n'est pas une option. Et la récompense du hadj accepté est ans égale. Nous ne sommes pas des pigeons, nous sommes des invités d'Allah.

    Sincères excuses si je me suis mal exprimé
    Cordialement,
    Blf_sn@yahoo.fr

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