À dire vrai, il n’est
guère aisé de prier en arabe, penser dans sa langue maternelle, étatiser en
français, sans heurts, ni confusion et en toute sérénité.
Amadou Guèye Ngom, Écrivain, critique d’art et chroniqueur sénégalais rappelé à Dieu en janvier 2010.
Amadou Guèye Ngom, Écrivain, critique d’art et chroniqueur sénégalais rappelé à Dieu en janvier 2010.
"Le royaume de
Dieu est en toi et tout autour de toi, pas dans les palais de bois et de
pierre..." Évangile de Saint Thomas
Au début, il était
question de réfléchir sur le fait religieux au Sénégal mais, convenons-en, le
sujet nécessite des développements plus importants que les modestes
contributions de nos pages. En effet, nous ne parlerons pas de principes
républicains comme la laïcité, ni du dialogue
islamo-chrétien dont notre pays se proclame le chantre, ni de nos multiples
confréries qui rivalisent de représentativité et d’imposture, ni des guides
dont les actes et les paroles défient l’État, la morale et le bon sens, ni des
mafieux jouisseurs qui spolient les citoyens au nom de Dieu et de leurs
ancêtres, ni même de la Tabaski, cette occasion annuelle d’exacerber les
inconséquences les plus incompréhensibles de notre peuple !
Les professions de foi
en Dieu ont pris une telle ampleur au Sénégal que la moindre interrogation sur
les pratiques religieuses devient suspecte. Or, beaucoup de maux seraient
atténués si l’on acceptait de se soumettre à des introspections élémentaires
sur notre spiritualité. Entre les héritages revendiqués, les éruditions
déclarées, les noblesses et les puretés historiographiques, le Sénégal est
quasiment pris en otage par sa richesse religieuse si particulière. Tout
événement touchant à la religion devient une affaire d’État pour peu qu’il soit
parrainé par un hypothétique descendant d’un de nos saints. Le mimétisme est tel que
le pourquoi du comment est devenu un tabou absolu. Après tout, il suffit de montrer
ostensiblement qu’on respecte les piliers de l’Islam et d’avoir un
« sérigne » (guide spirituel) pour se fondre dans la masse. « Nit
defay am kilifeu ! ». C’est là le 1er secret de l’estime
populaire au Sénégal, du moins, celui qui est à la portée de tous. Une fois
l’étiquette « Djoulite » (bon musulman) ou « talibé » (adeptes)
acquise, on peut allègrement tricher, mentir, frauder, forniquer, trahir,
voler, blesser, humilier, calomnier, se vanter, ignorer, marabouter, détruire
et vivre dans une nonchalance et une oisiveté hédonique.
Le cinquième pilier de
l’Islam qui, normalement, doit concerner peu de Sénégalais, vu l’indigence
généralisée de nos populations, constitue le sujet de cet article. Il s’agit du
pèlerinage à la Mecque qui est soumis à des conditions matérielles dont
l’humanisme théorique honore tout vrai croyant. Car, cette 5ème
disposition de l’Islam n’est pas une obligation. Elle s’adresse seulement à ceux
qui ont la possibilité physique et les moyens de se payer ce saint privilège. Paradoxalement,
l’écrasante majorité des 3 millions de fidèles qui accomplissent ce rite (même
s’ils viennent de Suisse, de France ou d’Allemagne) est originaire du
Tiers-monde. Pendant que les témoignages se suivent et se ressemblent sur cette
expérience sacrée, les candidats au pèlerinage ne cessent d’augmenter, en dépit
de la crise. Toutefois le quota du Sénégal qui est habituellement de 10500
têtes a été baissé cette année à 8400 à cause la rénovation titanesque de la
Mecque. Une historienne saoudienne s’indignait sur France 24 de l’ambition de
transformer la Mecque en Las Vegas et regrettait la disparition de deux tiers
du patrimoine historique authentique de la Mecque. Le but de ces travaux est de
tripler d’ici 2020 la capacité d’accueil de la ville sainte. Au-delà de
l’agrandissement de l’esplanade, il faut des tours, des restaurants, des
centres commerciaux, des hôtels et des infrastructures ultra modernes pour
recevoir les 10 millions de pèlerins prévisionnels. Le pèlerinage 2012 avait
rapporté 16,5 milliard de dollars à l’Arabie Saoudite. La Oumra (petit
pèlerinage) et le Hadj (grand pèlerinage), principaux motifs du tourisme cultuel
sont la deuxième source de revenu saoudienne après le pétrole. Ils rapportent,
selon RFI, une manne financière estimée à près de 50 milliards d’euros.
Les autorités
saoudiennes ont, certainement, raison de prendre des mesures exceptionnelles
face à la demande pressante des musulmans du monde qui veulent accomplir la 5ème
recommandation. Elles seraient surtout mal inspirées de négliger cette source
éternelle de cofinancement. Beaucoup de choses ont, certes, évolué dans
l’organisation de l’événement annuel du pèlerinage mais le traitement des fidèles,
en particulier, celui des Subsahariens reste à améliorer. Même si on est loin
de l’époque mythique des caravanes, où de téméraires pèlerins noirs risquaient
d’être enlevés et réduits en esclaves dès qu’ils foulaient des terres arabes ou
berbères, le mépris envers les musulmans du sud est encore une réalité. En
dehors des marges usuraires des compagnies et des intermédiaires véreux qui les
baladent ou les abandonnent parfois, le coût réel de leur séjour sacré est
proprement indécent. Le forfait hadj qui a augmenté de plus de 40% en trois
ans, les hébergements aléatoires, les arnaques de toute sorte, les prix
exorbitants sur place, les vols, la hausse occasionnelle du nombre de mendiants
sont autant d’abus et d’injustices faits à ces croyants. Pendant qu’ils sont
plumés tels des pigeons en attendant leur retour triomphal au bercail pour
recevoir les hommages des proches, leur pays se confond en remerciement pour
les aides reçues des pays qu’ils enrichissent. La semaine dernière, les
ambassadeurs d’Arabie Saoudite et d’Israël à Dakar avaient respectivement
offert 250 et 70 moutons aux musulmans sénégalais démunis pour la fête. Ces
dons seront suivis bientôt des 10000 carcasses de viande annuelles dont la
médiatisation met toujours mal à l’aise beaucoup de nos concitoyens.
Le 1er vol
retour du pèlerinage atterrit à Dakar cette nuit…vers 4h du matin. Il n’est
plus possible, comme ça a pu être le cas dans le passé, de laisser croire aux
plus humbles que cette expérience est synonyme de sanctification. Il n’est plus
possible, non plus, de nier son origine sociale et de fonder une dynastie qui
se veut respectable sur la seule base du titre d’Al Hadj, comme avaient pu le
faire certains pionniers. Devant la « surmédiatisation » de l’édition
2013 sur certaines chaînes de télévision, les apologies et les exégèses abracadabrantesques
de certains reportages, on a juste envie de dire que nul ne connait l’adresse
de Dieu. Nous devons orienter nos priorités vers les intérêts et la dignité de notre Nation. Les Îles du Saloum, l'île de Gorée, le désert de Lompoul, la verte Casamance, la chute d'eau de Dindéfélo...sont aussi des patrimoines du vaste royaume de Dieu.
Latyr DIOUF, CCR France



