jeudi 26 juin 2014

L’UNIVERSITÉ ET LA VIOLENCE CYCLIQUE


L'université sénégalaise semble avoir renoué avec la violence qui la caractérise depuis plusieurs années. Les derniers affrontements survenus dans l'enceinte du campus social de l'UCAD ne sont que les conséquences d’une longue et profonde crise. Jusque-là, les solutions proposées par l’État se sont avérées inefficaces s’ils ne provoquent pas des précédents qui fragilisent davantage le système universitaire. C’est pourquoi, il faut des réformes capables d’agir sur les causes profondes des effets néfastes qu’on veut juguler.
Les crises récurrentes traduisent l'échec de notre système éducatif, en général, et celui de l'enseignement supérieur, en particulier. Au-delà de l'image stigmatisant d’une université sénégalaise coutumière de scènes de guérilla urbaine qui ternissent ce qui doit être un espace d'instructions, d'échanges, de confrontations intellectuelles, idéologiques et même politiques, c’est la nature des protestations qui est problématique et surréaliste. À l'origine de cette violence, ce sont toujours des revendications d’ordre alimentaire alors que les conditions de travail restent catastrophiques: effectifs pléthoriques, amphithéâtres exigus, absence d’équipements pédagogiques, insuffisance d'encadrement, démarrage tardifs des cours, manque criard de ressources documentaires etc. Dans certains départements, les bâtiments sont en état de délabrement total constituant ainsi, un danger permanent pour les étudiants et le personnel. Face à cette situation alarmante, c'est l'indifférence totale. Les étudiants semblent peu s'en soucier, quant aux enseignants, nombreux cherchent à arrondir les fins du mois dans les écoles privées qui poussent comme des champignons pour pallier les carences de l'enseignement supérieur public.
L’une des causes principales du malaise de nos universités peut trouver sa source dans l’inadéquation entre les formations dispensées et les besoins de l’économie nationale. En effet, certains programmes offrent peu ou prou une qualification permettant aux étudiants de s’insérer dans le monde du travail. L’absence de débouchés professionnels ainsi que la prise en charge sociale qu’offre le campus, participent à maintenir certains étudiants, le plus longtemps possible, dans l’espace universitaire et les dispensent d’affronter la dure réalité de la vie après les études. À cela s’ajoute la politisation à outrance de l’université qui est source de promotion pour certains étudiants ayant « cartouché » plusieurs fois et dont la seule issue reste la politique. Paradoxalement, la plupart des bourses d’études à l’étranger sont octroyées à ces étudiants cartouchards. Cette clientèle politique agressive, ces maîtres chanteurs bruyants et casseurs de biens publics plus rompus au sabotage qu’à la quête de savoir deviennent des relais privilégiés des formations politiques ou du pouvoir. En contrepartie d’un apaisement artificiel de l’espace universitaire, ils sont souvent récompensés financièrement ou pistonnés.
 Malheureusement pour la société, ce sont les mêmes qui, parfois, après avoir échoué de nouveaux dans les universités occidentales, se recyclent en politiciens pour revenir diriger le pays. Ainsi, les mêmes causes produisent les mêmes effets catastrophiques. C’est là que réside toute la responsabilité de nos dirigeants de ces dernières années. Il est fréquent d’entendre d’éminents intellectuels sénégalais magnifier la vision du Président Senghor qui consistait à détecter les meilleurs étudiants et de leur octroyer des bourses étrangères. C’est tout le contraire des pratiques connues sous le régime d’Abdoulaye et qui ont tendance à persister.
Dans le même sillage, des mesures populistes et insoutenables telles que la généralisation des bourses ont été prises pour satisfaire des clientèles politiques. Même les pays infiniment plus riches que le nôtre n’envisagent pas cette pseudo-incitation irresponsable qui tue le goût de l’effort et la culture du mérite. Dans une ère de décrépitude morale galopante, l’éducation et la formation constituent les meilleurs moyens de réconcilier une société avec ses valeurs intrinsèques, condition de tout développement véritable. À défaut d’instaurer très rapidement dans l’espace universitaire l’apaisement nécessaire au vivre ensemble, le respect du bien commun et la cohabitation en dépit des opinions divergentes, l’État doit veiller au strict respect des lois et règlements de notre pays. La caricature libérale et son cortège de déséquilibres et d’iniquités imposent aux universités des pays du sud de s’adapter aux mutations sociales, économiques, politiques et technologiques. Cependant, les réformes nécessaires doivent prendre en compte nos besoins et réalités socio-économiques et culturels. Il faut surtout un courage politique pour opérer des réformes radicales capables d'agir sur les causes profondes.
C’est dans ce sens qu’il faut saluer et encourager le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour la fermeté avec laquelle il gère la crise actuelle et sa ténacité face aux pressions des étudiants et des politiques opportunistes qui profitent d’une situation aussi grave au détriment des intérêts des étudiants et de l’université de manière générale. L’université sénégalaise est appelée à renouer avec sa réputation, à redevenir un espace de valeurs démocratiques où toutes formes d’extrémisme et de manipulation politicienne seraient bannies, quelles que soient les positions à défendre. Car une conviction, abstraction faite de sa nature, ne doit pas être une raison pour ostraciser ceux qui ne la partagent pas. Ni l'étudiant, ni l’université ne doivent être le souffre-douleur d’un paysage politique en mal d’idées et de perspectives. Il est certes important que des partis politiques aient des adhérents ou des sympathisants parmi les étudiants. Cependant, les formations partisanes se doivent de veiller à l’encadrement de leurs porte-parole, en leur inculquant les règles élémentaires, du débat d’idées, même polémique suivant les impératifs d’un dialogue serein, délesté de l’adversité rancunière. C’est en agissant de la sorte que l’étudiant, outre la formation académique, sera doté d’une autre compétence, non moins importante, celle de soutenir ses convictions par l’argumentation. L’étudiant est peut-être l’élu ou le fonctionnaire de demain. Qu’on lui donne donc les moyens et les formations requises pour qu’il soit à la hauteur des attentes de sa société! Qu’on revisite les programmes et les curricula de manière à instaurer la culture de ce dialogue qu'appellent de tous leurs vœux, enseignants, étudiants et parents! Qu’on fasse des efforts en vue de réformer l’université, en l’adaptant au mieux à son environnement économique, en luttant contre le décrochage et en redonnant confiance aux étudiants! Il n y a pas pire que le désespoir et le défaitisme. De pareils sentiments ne sont pas sans porter préjudice à la qualité de la formation, à l’implication des étudiants dans leur propre apprentissage. Renforcer les structures de base, en termes de cités universitaires, de salles et de ressources humaines s’impose avec acuité vu les effectifs très élevés auxquels l’université sénégalaise est confrontée.
Le conseil présidentiel sur l'enseignement supérieur et la recherche du 6 mai 2013 avait dégagé des directives au nombre de 10 et un Programme de Réformes Prioritaires (PRP) 2013/2017 qui doivent être mis en œuvre sans tarder. De même la question des bourses, cette hérésie populiste, léguée par le précédent régime doit être réglée une bonne fois pour toute car le pays n'a pas les moyens d'en attribuer une à tous les étudiants. Aussi il faudra clairement dire que le master pour tous n’est envisageable dans aucune université au monde. Somme toute, la violence dans nos universités est un phénomène qui requiert une approche plurielle. Penser exclusivement à des mesures sécuritaires à l'instar des « franchises universitaires » ne règle pas le problème. La prise de conscience de ces recommandations simples, le dialogue, la patience et la culture de la tolérance pourraient suffire à redorer le blason de nos universités, d’en faire une esplanade au-dessus des considérations étriquées, génératrices de situations conflictuelles sans intérêt pour l’émergence du Sénégal.


Ben Yahya SY

CCR France/Sénégal

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