L'université sénégalaise semble
avoir renoué avec la violence qui la caractérise depuis plusieurs années. Les
derniers affrontements survenus dans l'enceinte du campus social de l'UCAD ne
sont que les conséquences d’une longue et profonde crise. Jusque-là, les
solutions proposées par l’État se sont avérées inefficaces s’ils ne provoquent
pas des précédents qui fragilisent davantage le système universitaire. C’est
pourquoi, il faut des réformes capables d’agir sur les causes profondes des effets
néfastes qu’on veut juguler.
Les crises récurrentes traduisent l'échec de notre
système éducatif, en général, et celui de l'enseignement supérieur, en
particulier. Au-delà de l'image stigmatisant d’une université sénégalaise
coutumière de scènes de guérilla urbaine qui ternissent ce qui doit être un
espace d'instructions, d'échanges, de confrontations intellectuelles,
idéologiques et même politiques, c’est la nature des protestations qui est
problématique et surréaliste. À l'origine de cette violence, ce sont toujours
des revendications d’ordre alimentaire alors que les conditions de travail
restent catastrophiques: effectifs pléthoriques, amphithéâtres exigus, absence
d’équipements pédagogiques, insuffisance d'encadrement, démarrage tardifs des
cours, manque criard de ressources documentaires etc. Dans certains
départements, les bâtiments sont en état de délabrement total constituant
ainsi, un danger permanent pour les étudiants et le personnel. Face à cette
situation alarmante, c'est l'indifférence totale. Les étudiants semblent peu
s'en soucier, quant aux enseignants, nombreux cherchent à arrondir les fins du
mois dans les écoles privées qui poussent comme des champignons pour pallier
les carences de l'enseignement supérieur public.
L’une des causes principales du malaise de nos universités
peut trouver sa source dans l’inadéquation entre les formations dispensées et
les besoins de l’économie nationale. En effet, certains programmes offrent peu
ou prou une qualification permettant aux étudiants de s’insérer dans le monde
du travail. L’absence de débouchés professionnels ainsi que la prise en charge
sociale qu’offre le campus, participent à maintenir certains étudiants, le plus
longtemps possible, dans l’espace universitaire et les dispensent d’affronter
la dure réalité de la vie après les études. À cela s’ajoute la politisation à
outrance de l’université qui est source de promotion pour certains étudiants
ayant « cartouché » plusieurs fois et dont la seule issue reste la
politique. Paradoxalement, la plupart des bourses d’études à l’étranger sont
octroyées à ces étudiants cartouchards. Cette clientèle politique agressive,
ces maîtres chanteurs bruyants et casseurs de biens publics plus rompus au
sabotage qu’à la quête de savoir deviennent des relais privilégiés des
formations politiques ou du pouvoir. En contrepartie d’un apaisement artificiel
de l’espace universitaire, ils sont souvent récompensés financièrement ou pistonnés.
Malheureusement
pour la société, ce sont les mêmes qui, parfois, après avoir échoué de nouveaux
dans les universités occidentales, se recyclent en politiciens pour revenir
diriger le pays. Ainsi, les mêmes causes produisent les mêmes effets
catastrophiques. C’est là que réside toute la responsabilité de nos dirigeants
de ces dernières années. Il est fréquent d’entendre d’éminents intellectuels
sénégalais magnifier la vision du Président Senghor qui consistait à détecter
les meilleurs étudiants et de leur octroyer des bourses étrangères. C’est tout
le contraire des pratiques connues sous le régime d’Abdoulaye et qui ont
tendance à persister.
Dans le même sillage, des mesures populistes et
insoutenables telles que la généralisation des bourses ont été prises pour
satisfaire des clientèles politiques. Même les pays infiniment plus riches que
le nôtre n’envisagent pas cette pseudo-incitation irresponsable qui tue le goût
de l’effort et la culture du mérite. Dans une ère de décrépitude morale
galopante, l’éducation et la formation constituent les meilleurs moyens de
réconcilier une société avec ses valeurs intrinsèques, condition de tout
développement véritable. À défaut d’instaurer très rapidement dans l’espace
universitaire l’apaisement nécessaire au vivre ensemble, le respect du bien
commun et la cohabitation en dépit des opinions divergentes, l’État doit
veiller au strict respect des lois et règlements de notre pays. La caricature
libérale et son cortège de déséquilibres et d’iniquités imposent aux
universités des pays du sud de s’adapter aux mutations sociales, économiques,
politiques et technologiques. Cependant, les réformes nécessaires doivent
prendre en compte nos besoins et réalités socio-économiques et culturels. Il
faut surtout un courage politique pour opérer des réformes radicales capables
d'agir sur les causes profondes.
C’est dans ce sens qu’il faut saluer et encourager le
ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour la fermeté avec
laquelle il gère la crise actuelle et sa ténacité face aux pressions des
étudiants et des politiques opportunistes qui profitent d’une situation aussi grave
au détriment des intérêts des étudiants et de l’université de manière générale.
L’université sénégalaise est appelée à renouer avec sa réputation, à redevenir un
espace de valeurs démocratiques où toutes formes d’extrémisme et de
manipulation politicienne seraient bannies, quelles que soient les positions à
défendre. Car une conviction, abstraction faite de sa nature, ne doit pas être
une raison pour ostraciser ceux qui ne la partagent pas. Ni l'étudiant, ni
l’université ne doivent être le souffre-douleur d’un paysage politique en mal
d’idées et de perspectives. Il est certes important que des partis politiques
aient des adhérents ou des sympathisants parmi les étudiants. Cependant, les
formations partisanes se doivent de veiller à l’encadrement de leurs
porte-parole, en leur inculquant les règles élémentaires, du débat d’idées, même
polémique suivant les impératifs d’un dialogue serein, délesté de l’adversité
rancunière. C’est en agissant de la sorte que l’étudiant, outre la formation
académique, sera doté d’une autre compétence, non moins importante, celle de
soutenir ses convictions par l’argumentation. L’étudiant est peut-être l’élu ou
le fonctionnaire de demain. Qu’on lui donne donc les moyens et les formations
requises pour qu’il soit à la hauteur des attentes de sa société! Qu’on
revisite les programmes et les curricula de manière à instaurer la culture de
ce dialogue qu'appellent de tous leurs vœux, enseignants, étudiants et parents!
Qu’on fasse des efforts en vue de réformer l’université, en l’adaptant au mieux
à son environnement économique, en luttant contre le décrochage et en redonnant
confiance aux étudiants! Il n y a pas pire que le désespoir et le défaitisme.
De pareils sentiments ne sont pas sans porter préjudice à la qualité de la
formation, à l’implication des étudiants dans leur propre apprentissage.
Renforcer les structures de base, en termes de cités universitaires, de salles
et de ressources humaines s’impose avec acuité vu les effectifs très élevés
auxquels l’université sénégalaise est confrontée.
Le conseil présidentiel sur l'enseignement supérieur et
la recherche du 6 mai 2013 avait dégagé des directives au nombre de 10 et un
Programme de Réformes Prioritaires (PRP) 2013/2017 qui doivent être mis en
œuvre sans tarder. De même la question des bourses, cette hérésie populiste,
léguée par le précédent régime doit être réglée une bonne fois pour toute car
le pays n'a pas les moyens d'en attribuer une à tous les étudiants. Aussi il
faudra clairement dire que le master pour tous n’est envisageable dans aucune
université au monde. Somme toute, la violence dans nos universités est un
phénomène qui requiert une approche plurielle. Penser exclusivement à des
mesures sécuritaires à l'instar des « franchises universitaires » ne
règle pas le problème. La prise de conscience de ces recommandations simples,
le dialogue, la patience et la culture de la tolérance pourraient suffire à
redorer le blason de nos universités, d’en faire une esplanade au-dessus des
considérations étriquées, génératrices de situations conflictuelles sans
intérêt pour l’émergence du Sénégal.
Ben Yahya SY
CCR France/Sénégal

