Le retour très médiatisé d’Abdoulaye WADE continue de faire
couler beaucoup de salive et d’encre au point que l’on oublie qu’il a été
désavoué, il y a deux ans, par 65 % des Sénégalais. Beaucoup de
commentaires enthousiastes ont évoqué le génie politique de Gorgui très habile
dans la manipulation de l’opinion publique, tandis que d'autres ont voulu
donner une allure messianique à ce non- événement. Les difficultés de la vie
quotidienne de la majorité des Sénégalais que le pouvoir actuel s’emploie à
atténuer, ne doivent pas faire oublier le désastre économique et social que
Wade nous a laissé. Le 25 mars 2012, le président Macky Sall a hérité d'un pays
en lambeaux, au bord de la banqueroute. Wade ne prédisait-il pas une rupture de
paiement dans la fonction publique s'il perdait le second tour de l’élection
présidentielle?
La parade nocturne de Gorgui, théâtralisée à outrance et ses
nombreuses visites auprès des autorités religieuses sont hautement politiques.
Il l’a avoué avant son arrivée à de grandes rédactions étrangères. Mais, quand le
Pape de l’éternel SOPI parle de politique, il faut entendre populisme. En
réalité, son souci n’est nullement la situation économique et sociale qu’il
juge désespérée en oubliant ses douze années de gestion calamiteuse du pouvoir.
Son véritable ordre de priorité c’est son fils Karim, les Locales et la
prochaine Présidentielle. Qu’un père puissant et influent comme Wade se
préoccupe de son enfant détenu n’a rien d’étonnant. Cependant, en tant que
principal responsable de la situation actuelle du Sénégal et de la situation de
son fils, il devait être plus discret et éviter les bains de foule jubilatoires
marqués par des discours aux allures de campagne électorale. Wade a rompu ainsi
avec l’élégante tradition républicaine qui requiert de la retenue et de la
réserve de la part d’un ancien chef d’État pour ne pas gêner son successeur.
En 2000, suite aux ajustements subis sous le régime socialiste le Sénégal reprenait du poil de la bête
avec un taux de croissance de 6%. Le président Abdou Diouf s’est gardé de se prononcer sur un quelconque dossier malgré la dégradation de la situation
sociale et économique qui s’en est suivie. Contrairement à Wade, le président
Diouf a toujours tenu sa famille à l’écart de la gestion des affaires de l’État.
Cette prudence élémentaire lui a permis de mener tranquillement une carrière
internationale sans se soucier du sort de ses enfants.
Quel grand illusionniste ce maître Wade ! Il n’a pas
hésité à prétexter la dégradation de la situation sociale et économique et
l’effritement des acquis démocratiques. Qui peut y croire ?. Comment
ose-t-il parler d’acquis démocratiques après avoir plusieurs fois bidouillé la
Constitution qu’il était censé protéger, pour s’éterniser au
pouvoir. Le Sénégal a connu son « insurrection civique » comme dirait
Mélenchon, le 23 juin 2011 lorsque le peuple sénégalais a frontalement stoppé ses
velléités de tailler une Constitution sur mesure pour son fils. Personne n’est
dupe ; Wade conscient de la détermination de Macky Sall à faire la lumière
sur la gestion des deniers publics, vient au secours de son fils. Ce dernier
qui sera bientôt en procès a fort besoin du soutien de son père, comme d’habitude.
Depuis Paris, Gorgui avait décrété que le procès de son fils est politique et
qu’il ne se gagnera pas devant les magistrats mais devant l’opinion publique.
Ainsi, Wade renoue avec son jeu favori qui repose sur deux axes: la manipulation
des masses et les visites de proximité des pouvoirs confrériques. La vitalité
démocratique sénégalaise lui permet de manifester à condition de ne pas troubler
l’ordre public. En revanche, en ignorant son statut d’ancien chef d’État et en
refusant les privilèges de l’âge chers à nos cultures, Wade doit s’attendre à être
rappelé à l’ordre ou à recevoir le traitement d’un citoyen normal avec des
droits et des obligations.
Sous l’influence d’une certaine presse, des analogies faciles
sont trouvées entre ce retour et celui de 1999. Un petit détail tout aussi
simple peut balayer ces comparaisons dirigées. En 1999, Wade a été accueilli,
les poches vides par notre peuple si généreux prêt à lui donner son ultime
chance. Aujourd’hui, c’est lui et ses proches qui détiennent des richesses
indécentes que la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite leur demande
de justifier. Qu’on n’inverse pas les rôles ! Et puis, qu’est-ce qu’une
jeunesse, censée se tourner vers l’avenir, peut attendre d’un vieux politicien
de 90 ans ? On retrouve là certaines inconséquences des Sénégalais. Comment
un peuple si averti peut-il se laisser divertir par une bande d’aventuriers qui
cherchent à échapper à la justice ? L’attitude de Wade montre à souhait qu’il
n’y a pas de corrélation mécanique entre la sagesse et l’âge. La sagesse,
définit par Aristote comme commencement du doute, induit, par ailleurs, la
tolérance, l’écoute et le respect des autres sans prétendre toujours avoir
raison. Une leçon que le président Abdoulaye Wade n’a, sans doute, que faire.
Amadou BÂ, CCR France

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