dimanche 25 mai 2014

UN VENT DE STRUCTURATION SOUFFLE SUR L'APR FRANCE




«Il n’y a pas de vent favorable pour qui ne connaît pas son port.» Sénèque



Imperturbable, le président Macky Sall avait laissé entendre que la restructuration de l'APR n’était pas opportune avant les Locales du 29 juin 2014. Malgré toutes les pressions internes qui rejetaient sur lui la responsabilité du désordre supposé ou réel du parti, il préféra se consacrer aux priorités nationales de l’émergence. Sous l’angle politique, on peut imaginer que cette stratégie était une manière d'observer comment son parti, sans sa présence souhaitée, allait résister à l'épreuve du pouvoir qu'il avait brillamment conquis. Face aux appels du pouvoir, aux ambitions nouvelles et à la nécessité de conserver les acquis, les structures de l’APR se retrouvèrent relativement affaiblies. Leurs principaux responsables étaient désormais aux affaires et ne pouvaient plus poursuivre le travail d’animation des instances. Les autres membres, limités par le dispositif réglementaire du parti et l’exclusivisme de certains responsables évoluaient en vase clos en cherchant des solutions sur fond de querelles fratricides. Cette atmosphère de méfiance et de tensions annonce inexorablement des configurations nouvelles plus durables. Le président Macky Sall était, sûrement, bien avisé d’avoir laissé les structures du parti trouver elles-mêmes leur maturité naturelle. Une restructuration assistée ou parrainée aurait sans doute compliqué la situation en accentuant les frustrations.

En France, depuis le 1er mars, un vent de changement souffle sur les structures de l’APR, avec la nécessaire refonte du parti par une transformation des pratiques et une adaptation aux nouvelles réalités. Cette transition démocratique engagée par la Convergence des Cadres Républicains semble s’être propagée, puisque le Mouvement National des Femmes Républicaines lui a emboité le pas le 03 mai dernier. Au cours d’une rencontre pouvant constituer le point de départ d’une véritable représentativité et d’une reconnaissance structurelle légitime au niveau du parti, les Femmes de l’APR France ont impulsé une dynamique à saluer. L’aboutissement de cette structuration devrait créer plus d’efficience politique et, parallèlement, renforcer l’intégration des Femmes à des fonctions stratégiques. Cela atténuerait, peut-être, certaines limites réelles de la parité liées au confinement socio-culturel de la majorité des Sénégalaises dans des rôles encore secondaires. Cependant, malgré le mérite manifeste de vouloir structurer enfin le Mouvement National des Femmes Républicaines APR FRANCE, le processus de formation du bureau ne semble pas avoir fait l’unanimité. Les défis sont encore là et, en dépit de la grande ouverture des postes au sein de l’instance dirigeante, la polémique ne s’est pas totalement estompée.

En dehors de certaines critiques liées à l’information et à l’organisation de la rencontre du 3 mai, la désignation des femmes devant conduire le mouvement ne s’est pas reposé sur des critères de compétences, de représentativité et d’engagement. Cela ressemblait plus à des appels à candidature à la cantonade où les intéressées exprimaient leur choix sans, visiblement, se soucier des missions correspondantes. Dans un tel contexte, peut-on vraiment imaginer l'émergence d'une conscience politique féminine ? Ce cocktail explosif n’aura pas tardé à faire resurgir les démons de la politique sénégalaise, car au moment de prononcer la validation de ce large bureau de petit consensus, les représentants de la Délégation des Sénégalais de l’Extérieur (DSE) se mirent à s’apostropher vertement jusqu’à l’injure suprême de nos cultures. Ceux qui connaissent l’histoire des structures de l’APR de France n’ont pas semblé s’émouvoir outre mesure car, paraît-il, il était temps que la prise en otage du parti se termine. Depuis l’élection du président Macky Sall, on assiste à des tentatives de coup de force sans se soucier des règles élémentaires de la démocratie. L’opacité et l’absence de culture d’évaluation sont érigées en règle. Le meeting du 7 décembre 2013 qui reste le plus grand évènement politique du parti depuis l’arrivée l’APR au pouvoir, n’est, à ce jour, pas évalué. Le travail de conscientisation et de sensibilisation du Mouvement National des Femmes Républicaines APR FRANCE ne peut donc pas s’appuyer sur une théorisation et une conceptualisation de ses aspirations par la DSE. Dès lors, il appartient au mouvement des Femmes de rassembler ses forces pour tendre vers un collectif conscient et agissant.

Le MFRF a toute sa place au-devant de la scène politique et doit se donner les moyens de s’approprier les instruments mis à sa disposition, entre autre le Plan Sénégal Emergent (PSE), qui le concerne à tous ses niveaux d’exécution. Le Mouvement doit mettre l’accent sur ses différents axes, et plus particulièrement, ceux concernant la promotion de l’équité et l’égalité de genre. Il demeure évident que sans la maitrise de quelques enjeux élémentaires, les orientations stratégiques qui guideront les initiatives prises par les Femmes Républicaines se traduiraient par un certain nombre de difficultés en particulier celles relatives à leur prise en compte au sein des différentes structures et administrations. Des projets superficiels et des animations politiques essentiellement folkloriques ne sauront caractériser les Femmes et prendre le dessus sur un militantisme actif et responsable. D’ailleurs leur supériorité numérique ne fait-elle pas du Mouvement National des Femmes une force que nul ne peut négliger lors des scrutins et des prises de décisions? Un Mouvement National des Femmes Républicaines fort d’une représentativité qualitative et quantitative, pourrait avoir un effet d’entrainement dans la structuration du parti si et seulement si elle réussit à garantir une gestion participative intégrée, solidaire, ordonnée, efficiente et démocratique.

C’est donc à travers un changement d’approche, un renforcement des principes démocratiques et une nouvelle dynamique d’ouverture et de massification que le Mouvement National des Femmes Républicaines de France jouerait pleinement son rôle. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une écoute attentive et respectueuse des sympathisantes et militantes. La réussite des structurations amorcées passera, d'une part, par la validation et la légitimation des processus de désignation et le respect des choix de la majorité et, d'autre part, par une gestion irréprochable des structures et des administrations de l'APR d'ici et d' ailleurs.

Mariama DIALLO
CCR/France

lundi 19 mai 2014

RÉPUBLICAIN, PAS MOURIDOPHOBE !



 
Sous le feu du déchaînement médiatique concernant « la liste du Khalif », du déferlement des avis et de la controverse sur le statut spécial de la ville de Touba voulu par certains Mourides, j'en suis arrivé, finalement, à cette question: Peut-on être mouridophobe? Une interrogation qui n'aurait de sens que si mes semblables et moi, analystes sans envergure, percevions la Mouridiya comme une menace, une gêne, un concurrent… Je ne pourrai parler que pour moi.


J'aime sincèrement les figures qui se distinguent par leur culte exclusif au Créateur. Sheikh Ahmadou Bamba, mieux que quiconque dans nos contrées, a été cette figure-là. Je m'émeus considérablement devant la rigueur, la capacité d'organisation et la rectitude dont peut faire montre la communauté Mouride. Ma dernière visite au Sénégal m'a permis de voir une imposante et magnifique mosquée à l'entrée de Mbour, fruit d'une sollicitation exprès de Serigne Sheikh, fils du regretté Serigne Saliou. Les Khassaid m'emportent littéralement. Et puis, comme bon nombre de Sénégalais, je compte une pléthore de disciples mourides dans mes amitiés. Une aversion envers eux trouverait-elle à s'expliquer ? 

Quand on retrouve dans les avis des uns et des autres de quoi penser de soi qu'on serait « jaloux » et faisant preuve tantôt d'un certain zèle lié à notre « intellectualisme » ou, tantôt, d'une « ignorance notoire », cela fait pourtant réfléchir. 

S'il faut parler carrément du cas présent, il faut situer le point de divergence. Sur fond de campagne pour les locales, les listes des élus des collectivités se déclinent. L'on apprend alors que la « liste du Khalif » pour la ville de Touba, entre autres mépris de la loi républicaine, ne respecte pas les dispositions de la Constitution à propos de la parité. Pour rappel, Abdoulaye WADE, l'ancien chef de l’État, avait fait voter en 2010 à l'assemblée nationale une loi instaurant la parité au Sénégal pour toutes les fonctions électives. Traduit dans le langage des urnes, cette loi imposer que sur les listes électorales la proposition du nom d'un élu soit immédiatement suivie de celui d'une élue pour pallier la « sous-représentation » des femmes, le législateur dixit.


La « liste du Khalif » interpelle donc. Si pour une certaine frange de la communauté cela est juste et s'explique par le statut spécial, de facto, de la ville de Touba, pour d'autres cette effraction ne saurait être avalisée par l'autorité. Je me tiens aux côtés de ceux qui défendent cet avis. Pour une raison simple. Si la République est le garant du bien-être commun et de l'égalité des chances pourquoi donc devrions-nous exclure des personnes éligibles à qui la loi offre expressément l'opportunité de représenter leurs semblables ? A ce jour, l'ultime argument mis en avant réside en cette parade: les « intellectuels » cherchent à nier le statut de Touba. Ayant répondu pour ma part, avançons. L'on note aussi dans la diatribe adressée aux « intellectuels » la rengaine les réduisant à une caste de « peaux noires, masques blancs », imbus de leur savoir acquis à l'école du blanc, qui se croiraient mieux éclairés que les autres et dont la « malhonnêteté intellectuelle » les pousse à l'ergotage et au déni des coutumes ancestraux. « Coutumes ancestraux » dites-vous ?! Passons. Il est étonnant quand même que ces critiques viennent de l'intelligentsia mouride, celle ayant aussi fréquenté l'école occidentale...


Je le redis, l'affaire n'est pas de s'insurger contre une communauté particulière mais il réside en le respect du droit commun. L'opportunité et la pertinence de la loi sur la parité ne sont pas, non plus, à discuter. Les mêmes qui évoquent son impertinence par rapport à notre sociologie était là, hier, quand WADE la faisait adopter par une Assemblée acquise à ses délires électoralistes. L’écho des hâbleurs et souteneurs tressant des lauriers au Wade visionnaire et révolutionnaire en matière d'avancée démocratique et de valorisation du rôle et de l'image de la femme nous parviennent encore. De même que les couinements de l'opposition hagarde. 

Je l'ai suggéré supra, le débat est large sur les nécessaires réformes de la Constitution pour la prise en compte de nos spécificités locales. Je suis d'avis qu'il faille revoir notre constitution, et non des territoires particuliers, pour la consolidation de notre Nation. Mais la période des élections est-elle la mieux indiquée pour poser ce débat qui se doit d'être inclusif ? En plus, connaissant l'extrême frilosité de nos dirigeants, il n'est pas à exclure que, selon les besoins du moment, ils doivent concéder une partie des privilèges exclusifs de l’État à d'autres territoires, que dis-je, d'autres familles. Car il faut bien comprendre que nos élus démontrent une obséquiosité désarmante, mettant constamment la République à genoux, au gré de leurs obédiences et de leurs affinités. Ce clientélisme nous répugne. 

L'on me brandira également l'argument de l'incurie religieuse. Et oui, qui suis-je pour placer mon mot concernant les bienfaits du Seigneur à l'homme saint de Touba ? Personne. Je ne suis personne. Si ce n'est celui qui a aussi appris sa religion et qui sait qu'en la matière, l'autorité ne s’hérite pas. Que jamais dans l'histoire de la religion les lois n'ont été définies par autre qu'Allah. Que jamais, jusqu'au démantèlement de l'empire Ottoman, il n'a été question de chercher un consensus entre la Charia et la République. Qu'aucun des Sahabatoul kiram (les compagnons du Prophète, psl) ou des Taabi'oun (les premières générations de croyants après la disparition des compagnons) n'a réclamé une terre pour la régenter en dehors de l'autorité du commandant des croyants. Là subsiste donc la flagrante contradiction. S'il faut une terre où la Charia ferait loi comment se fait-il que les porteurs d'un tel dessein en fassent le recours auprès de l'autorité républicaine pour l'obtenir ? Qui connaît la charte des Nations-Unies sur laquelle s'adossent les Constitutions des États membres sait qu'elle s'inscrit en faux contre les règles élémentaires imposant aux hommes de confier leur destin à Allah le Souverain. Dans l'air fument les terribles senteurs d'une méconnaissance des agendas réels des entités… ou d'agendas personnels habilement camouflés par le voile de la religion. 

Il me faut pourtant avouer ceci. Si demain le Sénégal devait adopter la loi islamique comme texte constitutionnel, je serai le premier à m'en réjouir, à applaudir et à soutenir ce projet. Mais du moment qu'une telle éventualité n'est pas en vue, il serait bon de se tenir à ce qui fait notre ciment en tant que peuple. Je crois fermement que ce qui fait notre union aujourd'hui n'est pas l'exaltation de la spécificité mais bien la concorde, le dialogue. 


Ceci n'est donc pas le débat entre deux bords idéologiques comme certains aiment à le répéter. En tant que Peuple et Nation on est un et indivisible. Nul ne peut et ne doit exclure un Sénégalais dans la gestion des affaires de la cité du fait de sa naissance ou de ses affiliations. Parce qu'en somme, c'est de cela qu'il retourne : il faut faire allégeance, s'aplatir et se taire. Sinon le joug communautaire est là, prêt à s'affaisser sur les imprudents. Fort heureusement, la religion nous fournit des repères. Dieu ne commanda-t-il pas à son Prophète de consulter ses semblables quand il s'agit de gérer les affaires de la cité ? Donc acceptons le débat, serein et opportun. L'ostracisme n'a jamais grandi un peuple.
Abdoulaye FAYE

dimanche 4 mai 2014

LETTRE OUVERTE À MAÎTRE ALIOUNE BADARA CISSÉ





À maître Alioune Badara Cissé


Paris, le 04 mai 2014

 


Excellence, cher maître, illustre camarade,


C’est avec un mélange indéfinissable d’embarras et d’agacement que je réagis à votre interview sur La Chaîne Sénégalaise - LCS. Si j’éprouve de tels sentiments c’est parce que votre sortie préméditée a secoué la ligne que je m’efforce modestement de donner à mes convictions politiques. Vous êtes, à mes yeux un homme politique respectable et vous revendiquez la co-genèse de notre parti. Selon vos propres termes, vous y étiez déjà à « zéro plus deux ». Je vous avais défendu péremptoirement dans un duel médiatique aussi insidieux et aussi insipide que vos propos lors cette fameuse émission « Amoul Nëbbo ». Puis, j’étais refroidi par l’image frivole du crapaud et de la blanche colombe. Votre entretien fleuve, très mal à propos, autorise, désormais, un doute légitime sur votre appartenance sincère à l’APR. Sinon, pourquoi avoir choisi cette semaine de fortes agitations politiciennes pour porter de froides estocades à une cause que vous dites vôtre ?

 


Pourtant, vous écouter, maître Alioune Badara Cissé est plutôt agréable. Votre débit de parole, votre timbre de voix, vos phrases soigneusement ciselées et soutenues par une incontestable culture font de vous un des orateurs les plus charismatiques de la scène politique sénégalaise. Mais, dans votre entretien avec LCS, le fond a été plus que douteux. Or, même s’il n’est pas donné à tout le monde de s’exprimer avec autant d’aisance, l’écoute est souvent plus fine qu’on ne le croit. Donc, la prudence et le respect de ses concitoyens sont primordiaux quand on s’adresse à eux. Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur, aviez-vous argué en citant Beaumarchais. Vous ravissant cette célèbre réplique, j’entends dire ici, avec la même intransigeance, ma compréhension de vos mots. C’est d’autant plus facile que l’intentionnalité de cet épisode d’Amoul Nëbbo est très forte. La préparation de l’émission avait déjà opéré des regroupements et défini des orientations. Je garderai juste la liberté de ne pas forcément en suivre l’ordre.

 


Tout commence par un montage sur votre parcours. Ces ego trip très fréquents dans le monde politique et artistique sont toujours aussi efficaces. Ils restaurent des mérites et des légitimités. Votre auguste personnalité pouvait s’en passer aisément. Personne ne doute de vos qualités. Le plus frappant, tout au long de l’émission, c’est que les chutes, quelque soit la réponse, portaient toujours sur vos rapports avec le président Macky Sall. Il ne sera point question d’interpréter la distance malheureuse entre vous deux. Ma relecture sera basée sur vos injonctions tout azimuts : « Monsieur le président de la République, je vous ai connu calme et serein, capable d’écouter ; ne vous emballez pas pour si peu. Le président Wade ne fait peur à personne, vous-même, cessez de nous faire peur ; tu as tout, tu n’as plus rien à prouver ; prenez vos responsabilités, faites taire tous ces pyromanes et ces thuriféraires qui vous poussent à l’excès». Est-ce vraiment une manière de s’adresser à un chef d’État, les yeux dans les yeux, à la télévision ? Avec ce tutoiement qui n’a échappé à personne, vous avez présenté le président comme un capricieux qui manque d’assurance : « Démako né yéwoul, mou mër !». Certes, comme vous, maître, on s’est proposé, dès l’éditorial de notre blog La Permanence Républicaine, d’encourager les efforts de notre exécutif et de critiquer les écarts de nos gouvernants. Comme vous, maître, nous ne sommes pas des militants godillots. Nos ambitions sont, cependant, limitées par la responsabilité qui encadre cette liberté. L’irrévérence nous rendrait inaudible.

 


Qui trop embrasse mal étreint, aviez-vous dit en soulignant l’incompatibilité entre la fonction de président de la République et celle de président de parti. Cette posture serait pour quelque chose dans votre départ du gouvernement et votre disgrâce au sein du parti. N’aurait-il pas été plus judicieux de s’atteler corps et âme à la structuration du parti qui en a tant besoin, au lieu de réclamer directement sa décapitation ? Il est difficile de croire que Macky Sall soit devenu un horrible dictateur qui sévirait à la moindre contrariété. Notre monde politique est rempli de gens médiocres, bruyants et méchants mais cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel. Notre peuple est juste et n’aime pas les excès. Les deux ans au pouvoir du président Macky Sall ne méritent pas la lecture que vous en faites. Ils méritent plus de solidarité de votre part. Vous étiez le tout puissant ministre des Affaires Étrangères du Sénégal. Est-ce judicieux d’afficher publiquement autant de pessimisme à propos du Plan Sénégal Émergent devant l’espoir qu’il suscite ? Vous relevez des gaspillages, des atermoiements, des conflits de compétences autour du PSE et une cacophonie autour du taux de croissance tout en avouant ne pas le connaître et être resté sur la Stratégie de Croissance accélérée et le Yoonu Yokkuté. Et, quand le président exige une accélération de la cadence, vous êtes catégorique : « ça ne s’annonce pas, ça se décide, ça s’assume ; pas avec des mots ! » Sur un ton plus intime, vous affirmez que Macky Sall ne croit pas et n’a jamais cru aux taux de croissance avant de dire, avec un niveau de langue qui trahit votre irritation : « Un taux de croissance, ça se bouffe pas ! ». Ne devriez-vous pas laisser ce terrain à l’opposition ?

 


Sur la situation politique nationale, votre ton est également sans appel. Les libertés publiques seraient en souffrance dans notre pays : d’anciens ministres seraient humiliés, on emprisonnerait à tout va. En somme, tout ce que fait le gouvernement, pour faire régner l’ordre et faire triompher l’équité (traque des biens mal acquis), est perçu, dans votre discours, comme un recul démocratique. Pour mieux déprécier la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite), vous rejetez, par principe, les "tribunaux d’exception" tout en fustigeant une « légèreté du dossier et des interventions intempestives de l’Exécutif dans la marche de la Justice » en prédisant une issue qu’on devine ridicule dans l’affaire Karim Wade. Même le « Soutoura », ce pilier central de nos systèmes de valeur, serait menacé. Pour illustrer cette inquiétude, vous convoquez, tel un cheveu dans la soupe, l’affaire Hissène Habré pour laquelle le sens des responsabilités du pouvoir actuel mérite d’être salué. Dans le même registre, les précautions prises à l’occasion du retour médiatisé de Wade sont qualifiées de « bêtise de l’année ». Là encore, droit dans les yeux, vous sommez le président de se rappeler qu’il doit tout à Wade, que celui-ci est vieux, qu’il a tout donné, qu’il demande respect et reconnaissance, qu’il souffre de l’absence de son fils emprisonné. Ce plaidoyer est-il celui du brillant avocat que vous êtes ou celui de l’homme politique qui déroule ses ambitions ?

 


Vous dites vous accommoder de votre statut de militant ordinaire, « grade le plus élevé dans votre hiérarchie des normes ». Vous dites œuvrer pour l’APR au niveau national et international. Vous déplorez l’absence des responsables du parti sur le terrain. Vous alertez même sur la situation délétère de l’APR dans la ville du président et des conséquences catastrophiques qu’une perte des Locales pourraient engendrer. Même si je ne doute pas un instant que vous soyez « à l’aise dans vos babouches », comme vous l’avez si bien dit dans l’émission, votre altruisme face à tant de griefs réciproques est impressionnant. Seulement, sous l’angle de la Realpolitik, je constate l’existence d’un mouvement des ABCdaires. J’avais pensé qu’il s’agissait d’une stratégie de riposte interne et ponctuelle mais, à titre d’exemple, 10% au moins des membres de la Convergences des Cadres Républicains de France se réclament de ce mouvement. Bien entendu, ils n’assument pas tous au même degré cette appartenance. Maître, vous qui avez réussi à réconcilier, même fugacement, Matar Bâ et Adama Ndour à Fatick pour unir les forces de l’APR, allez-vous laisser vos adeptes fragiliser votre parti ailleurs ? À moins que vous ne soyez déjà sur un autre chemin, comment devons-nous comprendre vos appels en faveur de retrouvailles de la grande famille libérale ?

 


Enfin, maître, vous « respirez Saint-Louis », vous « mangez Saint-Louis », vous « dormez Saint-Louis » dites-vous. C’est tout à votre honneur et je vous souhaite bonne chance. Par ailleurs, pour finir sur un ton plus grave, je souhaitais sincèrement et librement un retour de la confiance entre vous et le président Macky Sall. Je ne désespère pas totalement de voir ce vœu se réaliser mais vos trajectoires depuis notre victoire ne vont pas dans ce sens. Il aurait fallu mesurer et s’habituer, me semble-t-il, aussi vite que lui au statut de président de la République qui était devenu le sien. Or, on a pu observer que même l’affection, la bienveillance et la loyauté que vous lui témoigniez étaient souvent trop familières, voire infantilisantes. Aucun président digne de ce nom n’accepterait longtemps de tout devoir aux autres. Une humilité totale face au mérite et au destin de Macky Sall serait, peut être, une condition de l’apaisement. Pour cela, cher maître, je vous prie d’arrêter de distiller vos paraboles qui compliquent davantage la situation.


Avec mes salutations républicaines et toute ma considération.

Latyr DIOUF, CCR France

vendredi 2 mai 2014

WADE, L'ULTIME RETOUR VERS LE PASSÉ




Le retour très médiatisé d’Abdoulaye WADE continue de faire couler beaucoup de salive et d’encre au point que l’on oublie qu’il a été désavoué, il y a deux ans, par 65 % des Sénégalais. Beaucoup de commentaires enthousiastes ont évoqué le génie politique de Gorgui très habile dans la manipulation de l’opinion publique, tandis que d'autres ont voulu donner une allure messianique à ce non- événement. Les difficultés de la vie quotidienne de la majorité des Sénégalais que le pouvoir actuel s’emploie à atténuer, ne doivent pas faire oublier le désastre économique et social que Wade nous a laissé. Le 25 mars 2012, le président Macky Sall a hérité d'un pays en lambeaux, au bord de la banqueroute. Wade ne prédisait-il pas une rupture de paiement dans la fonction publique s'il perdait le second tour de l’élection présidentielle?

La parade nocturne de Gorgui, théâtralisée à outrance et ses nombreuses visites auprès des autorités religieuses sont hautement politiques. Il l’a avoué avant son arrivée à de grandes rédactions étrangères. Mais, quand le Pape de l’éternel SOPI parle de politique, il faut entendre populisme. En réalité, son souci n’est nullement la situation économique et sociale qu’il juge désespérée en oubliant ses douze années de gestion calamiteuse du pouvoir. Son véritable ordre de priorité c’est son fils Karim, les Locales et la prochaine Présidentielle. Qu’un père puissant et influent comme Wade se préoccupe de son enfant détenu n’a rien d’étonnant. Cependant, en tant que principal responsable de la situation actuelle du Sénégal et de la situation de son fils, il devait être plus discret et éviter les bains de foule jubilatoires marqués par des discours aux allures de campagne électorale. Wade a rompu ainsi avec l’élégante tradition républicaine qui requiert de la retenue et de la réserve de la part d’un ancien chef d’État pour ne pas gêner son successeur.

En 2000, suite aux ajustements subis sous le régime socialiste le Sénégal reprenait du poil de la bête avec un taux de croissance de 6%. Le président Abdou Diouf s’est gardé de se prononcer sur un quelconque dossier malgré la dégradation de la situation sociale et économique qui s’en est suivie. Contrairement à Wade, le président Diouf a toujours tenu sa famille à l’écart de la gestion des affaires de l’État. Cette prudence élémentaire lui a permis de mener tranquillement une carrière internationale sans se soucier du sort de ses enfants.

Quel grand illusionniste ce maître Wade ! Il n’a pas hésité à prétexter la dégradation de la situation sociale et économique et l’effritement des acquis démocratiques. Qui peut y croire ?. Comment ose-t-il parler d’acquis démocratiques après avoir plusieurs fois bidouillé la Constitution qu’il était censé protéger, pour s’éterniser au pouvoir. Le Sénégal a connu son « insurrection civique » comme dirait Mélenchon, le 23 juin 2011 lorsque le peuple sénégalais a frontalement stoppé ses velléités de tailler une Constitution sur mesure pour son fils. Personne n’est dupe ; Wade conscient de la détermination de Macky Sall à faire la lumière sur la gestion des deniers publics, vient au secours de son fils. Ce dernier qui sera bientôt en procès a fort besoin du soutien de son père, comme d’habitude. Depuis Paris, Gorgui avait décrété que le procès de son fils est politique et qu’il ne se gagnera pas devant les magistrats mais devant l’opinion publique. Ainsi, Wade renoue avec son jeu favori qui repose sur deux axes: la manipulation des masses et les visites de proximité des pouvoirs confrériques. La vitalité démocratique sénégalaise lui permet de manifester à condition de ne pas troubler l’ordre public. En revanche, en ignorant son statut d’ancien chef d’État et en refusant les privilèges de l’âge chers à nos cultures, Wade doit s’attendre à être rappelé à l’ordre ou à recevoir le traitement d’un citoyen normal avec des droits et des obligations.

Sous l’influence d’une certaine presse, des analogies faciles sont trouvées entre ce retour et celui de 1999. Un petit détail tout aussi simple peut balayer ces comparaisons dirigées. En 1999, Wade a été accueilli, les poches vides par notre peuple si généreux prêt à lui donner son ultime chance. Aujourd’hui, c’est lui et ses proches qui détiennent des richesses indécentes que la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite leur demande de justifier. Qu’on n’inverse pas les rôles ! Et puis, qu’est-ce qu’une jeunesse, censée se tourner vers l’avenir, peut attendre d’un vieux politicien de 90 ans ? On retrouve là certaines inconséquences des Sénégalais. Comment un peuple si averti peut-il se laisser divertir par une bande d’aventuriers qui cherchent à échapper à la justice ? L’attitude de Wade montre à souhait qu’il n’y a pas de corrélation mécanique entre la sagesse et l’âge. La sagesse, définit par Aristote comme commencement du doute, induit, par ailleurs, la tolérance, l’écoute et le respect des autres sans prétendre toujours avoir raison. Une leçon que le président Abdoulaye Wade n’a, sans doute, que faire. 
Amadou BÂ, CCR France