Le procès de l’ancien ministre, Karim
Wade poursuivi pour enrichissement illicite, ouvert le 31 juillet dernier, doit
être analysé et compris comme une exigence démocratique et morale. L’enrichissement
illicite et le pillage des deniers publics ont toujours miné le développement
économique et social de notre pays. Pourtant, le Sénégal, par sa maturité
démocratique et sa stabilité politique et sociale, a toujours su attirer des investissements
étrangers. Malheureusement notre pays n’a pas pu en profiter pour se développer
à cause des crimes économiques répétitifs souvent restés impunis.
Dans son rapport annuel 2014,
l’Inspection Générale d’Etat (IGE) fait état de malversations flagrantes dont
les cas illustratifs sont le FESMAN, la maison du Sénégal à New York, la
construction du Monument de la Renaissance Africaine, l’ANOCI, etc. Plus
généralement, l’IGE note que « la gouvernance économique et financière est
marquée, dans beaucoup de secteurs, par des pratiques assez éloignées de
l’efficacité et de l’efficience ». Les cas de mal gouvernance portent aussi
sur la gestion foncière, la gestion des ressources énergétiques et minières et
les conditions de réalisation de divers autres projets.
A titre d’exemple, la construction du
Monument de la Renaissance Africaine a été faite en violation totale du code
des marchés publics et du code des obligations de l’administration. Ce projet
n’a pas fait l’objet d’appel à la concurrence, son financement ne figure pas dans
les comptes de l’État du fait qu’il a été pris en charge par un particulier
pour 20 milliards de FCFA en contrepartie de l’attribution, en pleine
propriété, de terrains domaniaux d’une superficie de plus 56 ha.
L’IGE fait état de nombreuses
irrégularités dans la gestion financière du FESMAN. Le rapport souligne
l’absence de documents de planification et d’un rapport d’activités à la fin du
festival, les violations de la loi d’exécution financière et comptable, les
manquements graves relatifs au recrutement et à la rémunération du personnel,
mais aussi sur le plan fiscal et des cas de surfacturations. « Prévue au
départ pour coûter cinq milliards de francs CFA, au titre de la participation
sénégalaise, la troisième édition du FESMAN, a finalement coûté au contribuable
sénégalais plus de quatre-vingt milliards de francs CFA, sans compter les
sommes encore dues à divers créanciers qui continuent de se présenter, pour
réclamer le paiement de leurs prestations. Le montant total de ces prestations
a été arrêté à 1 768 977 153 FCFA », selon l’IGE.
En définitive, le FESMAN n’était qu’un
festival de gaspillage des ressources publiques au grand dam des Sénégalais. Les
détournements des deniers publics qui ont particulièrement caractérisé le
régime d’Abdoulaye Wade doivent être sévèrement punis au même titre que les
crimes humains commis sous les dictatures sanguinaires ou les régimes
autoritaires.
Les conséquences de tels crimes sont
désastreuses sur le plan social et économique : augmentation du chômage, faillite
des entreprises nationales due à la dette intérieure, famine dans le monde
rural, crise dans les secteurs éducatif et sanitaire, émigration etc. Dans
certains pays de l’Afrique, de telles crises ont conduit à la guerre civile. Aujourd’hui,
de vastes pans de la population sénégalaise demeurent dans une situation de
grande précarité ; ce qui oblige notre pays à recourir à des endettements
lourds susceptibles de compromettre l’avenir des générations actuelles et futures
si on ne met pas un terme à ces pratiques. C’est immoral de s’enrichir sur le
dos des futures générations qui devront « payer des pots qu’ils n’ont pas
cassés » dans un pays comme le Sénégal dont les ressources sont très
limitées. Cela nous fait penser à la théorie de Michel Schneider sur l’indécence ordinaire qui peut consister
à prendre, contrôler et garder tout au détriment du peuple. Ainsi, une
catégorie de politiques prédateurs narcissiques, souvent aux compétences douteuses,
prospère, alors que les couches sociales, de plus en plus vulnérables,
prolifèrent.
L’ampleur des dérives dans la gestion
des deniers publics sous l’ancien régime doit interpeller tout citoyen sur le
devoir de transparence et de reddition des comptes de la part de ceux qui
exercent des responsabilités publiques. La traque des biens mal acquis est une
exigence légale, légitime et morale malgré les propos des opposants et de
certains Sénégalais totalement submergés par des affects de nature à prendre
les coupables pour des victimes. Le paradoxe sénégalais est de vouloir la
justice sans coupable.
Dans son premier discours adressé à la
nation en avril 2012, le président de la République avait marqué une volonté
ferme de rompre avec les pratiques malsaines dans la gestion des affaires
publiques. A l’époque, il disait ceci : « Au Gouvernement, je donne mission de traduire en
actes la forte aspiration au changement massivement exprimée le 25 mars. Cette
occasion historique constitue pour nous tous, un nouveau départ pour une
nouvelle ère de ruptures en profondeur dans la manière de gérer l’État au plan
institutionnel et économique ». Ce discours a été suivi par l’activation de la CREI (Cour
de Répression de l’Enrichissement Illicite) et la mise en place de l’OFNAC (Office
National de la Lutte Contre la Corruption et de la Concussion) marquant ainsi une
rupture de nature à instaurer une gouvernance vertueuse et sobre. Ce sont là
des règles élémentaires pour espérer bâtir un développement devant permettre à chaque
Sénégalais de vivre dignement. Dans un État de droit, on ne peut pas tolérer
une classe de privilégiés, illicitement enrichis, nous diriger et se permettre de piller, en toute impunité, les maigres ressources de nos pays.
C’est un faux débat de parler de la
compétence de la CREI en la contestant, comme le font ses détracteurs. Pour le
cas de Karim Wade qui est jusque-là en détention provisoire, ce procès est une occasion
de prouver son innocence. L’argument de l’inversion de la charge de la preuve
en matière d’enrichissement illicite n’est pas fondé. Selon Mody Gadiaga,
enseignant à la faculté de droit de l’UCAD, on part du principe que le train de
vie de Karim Wade a créé « une situation d’apparence qui s’élève au-dessus
de ses revenus légaux qu’on lui connaît. Il lui appartient, donc, de démontrer
que la réalité n’est pas conforme à cette apparence » autrement dit,
prouver l’origine licite de ses biens. On sait aussi que la fonction de
ministre est incompatible avec toute autre activité génératrice de revenus.
Certains accusés dans le dossier de la traque des biens illicites parlent de
dons octroyés par l’ancien président ou ses amis. Là aussi, Mody Gadiaga nous
édifie : « la loi sur l’enrichissement illicite stipule que la seule
preuve d’une libéralité, c’est-à-dire du don ne suffit pas à justifier de
l’origine licite des biens ».
Il ne faut pas apporter des réponses
politiciennes à des questions purement juridiques. Des responsables du PDS,
dans la panique font de la diversion et de la manipulation de l’opinion en nous
parlant de tentative de liquidation d’un adversaire politique, potentiellement,
redoutable pour le président Macky Sall en 2017. Le président Wade, lors son
retour très médiatisé, nous parlait de la qualification de Karim Wade au second
de tour de la présidentielle 2017. On est tenté de se demander sur quel projet
de société, quels programmes politiques alternatifs pour quelqu’un qui n’a pas
pu gagner dans son propre bureau de vote aux locales de 2009. L’attitude
républicaine commande de laisser la justice faire son travail et élargir la
traque des biens illicites à tous ceux qui ont commis des fautes dans la
gestion des affaires publiques. La seule préoccupation des Sénégalais est de
ramener l’argent logé dans les paradis fiscaux et faire de telle sorte que de
pareils actes criminels ne se reproduisent plus. Il est temps de finir avec la
petite politique politicienne à laquelle se livrent constamment certains acteurs
politiques. La politique est, avant tout, l’éthique personnelle, l’altruisme et
l’esprit de sacrifice au profit des générations à venir. La parution du livre
du colonel Ndaw « Pour l’honneur de
la gendarmerie sénégalaise » fait état de dérives inimaginables au
plus haut sommet des Institutions de la République. Il convient, dès lors, de
préserver enfin notre dignité de nation en sanctionnant les fossoyeurs de la
République.
Amadou BÂ, CCR France
