Après les PAS (Plan d’Ajustement Structurel) et
diverses politiques substitutives comme le DSRP (Document de Stratégie et de
Réduction de la Pauvreté) et la SNDES (Stratégie Nationale de Développement
Économique et Social), le Sénégal met en place le Plan Sénégal Émergent (PSE).
Le bilan contrasté des plans précédents s’explique surtout par l’absence d’un
cadre institutionnel favorable à l’émergence du Sénégal. C’est pourquoi le
succès du PSE est conditionné en priorité par l’instauration d’un cadre institutionnel
amélioré et sécurisé. Il faut noter, par ailleurs, le rôle de l’État pour
instaurer une économie mixte et être attentif à la soutenabilité politique et
sociale des réformes nécessaires à la réussite du PSE ; l’économie
politique de ces réformes (qualité des réformes, leur faisabilité) étant
réalisée au préalable. La communication, le temps, l’adhésion populaire ou
soutien sont des variables d’ajustement non négligeables influant sur la
réussite ou l’échec des réformes.
Le
cadre institutionnel
Plusieurs études suggèrent que l’accent doit être mis
en priorité sur la mise en place d’un cadre institutionnel favorable à
l’émergence avec de bonnes institutions. Faute de quoi, il y a faiblesse des
performances économiques : il sera alors difficile de voir l’émergence se
réaliser. Les institutions visées sont essentiellement les instituions
formelles (règles de droit en particulier les droits de propriété, lois,
constitutions) et informelles (normes de comportement, des conventions, des
codes de conduite auto-imposées, croyances, capital social). Parmi les
institutions informelles, nous pouvons également citer les idéologies
structurantes (cas des Mourides). Les institutions économiques formelles sont
centrées sur les droits de propriété. Leur efficacité dépend du système
politique. Signalons la question centrale des coûts de transaction qui
constituent la clé de la performance des économies. Les différences de
performances entre pays s’expliquent par le fait que ce sont les mécanismes
d’incitations, le respect des règles et la stabilité politique et sociale qui
garantissent les droits de propriété et la confiance des investisseurs qui
recherchent un cadre institutionnel sécurisant corrélé positivement aussi au
rapatriement des capitaux et à l’allongement des horizons des agents. L’État du
Sénégal doit créer un cadre institutionnel incitatif favorisant des
comportements de prise de risques, d'innovations et de conquêtes de parts de
marché : il s'agit, pour l'essentiel, de la protection de la propriété privée,
de la production de règles de droits non dévoyées à même de créer de la
confiance et les externalités propres à ce phénomène. Le Sénégal a besoin ainsi
d’un cadre institutionnel qui récompense les activités productives, créatrices
de richesses, qui promeut les activités à impact positif sur la productivité,
qui valorise le travail, le mérite, la compétence.
Le
rôle de l’État pour instaurer une économie mixte
La politique économique est un compromis
institutionnalisé qui ne peut correspondre à un idéal, qu’il soit libéral ou
interventionniste. Les sociétés africaines (sénégalaises en particulier) sont
caractérisées par les chevauchements des positions de pouvoir et
d’enrichissement, la fluidité entre les espaces publics et privés, ce qui
oblige à remettre en question l’opposition État/marché ou public/privé. Ainsi,
par exemple, en Afrique de l’Ouest, les Libanais jouent, souvent, un rôle de
financiers de l’État, en contrepartie d’avantages divers offerts par les
responsables politiques. Dès lors, la privatisation et la libéralisation
transforment généralement les rentes liées au contrôle étatique en rentes de
monopoles privés. Les lois du marché ne peuvent fonctionner sans « garde
fou » et sans organisation pour plusieurs raisons. Les prix mondiaux ne
sont pas d’équilibre, la vérité des prix conduit à la disparition d’une partie
de l’appareil productif. Il faut des mécanismes de stabilisation capables de
faire le lissage des fluctuations. En revanche, l’économie administrée est
source de rentes et d’absences d’innovations. Elle ne peut intégrer la
flexibilité nécessaire à l’ajustement au marché international et aux évolutions
technologiques. Par exemple, l’expérience montre qu’une forte taxation de
l’agriculture pénalise la croissance, qu’un protectionnisme élevé crée des
rentes et que les distorsions du marché exercent des effets négatifs sur
l’allocation des ressources. Ainsi, l’ouverture maîtrisée et la concurrence
réglementée sont nécessaires pour stimuler l’investissement et les progrès de
productivité. Il s’agit alors de réguler le marché et de mettre en place une
économie mixte où l’État crée un cadre stratégique et favorise une dynamique
privée entrepreneuriale. Il y a moyen de se servir de l’exemple du modèle
asiatique, lequel repose sur un secteur exportateur subventionné, une industrie
destinée au marché intérieur protégé, une grande flexibilité du système
productif et une libéralisation interne permettant la constitution d’un vrai
marché sous l’impulsion d’un État fort. Le marché se construit et s’organise,
les entreprises efficientes ont besoin de relations stabilisées, les
transitions institutionnelles sont nécessaires. La politique d’incitation
suppose l’adoption de comportements nouveaux par apprentissage individuel et
collectif. Plus précisément, les séquences optimales de réformes
supposent : la stabilisation économique, la libéralisation du secteur réel
national, la libéralisation financière, la libéralisation du commerce extérieur
et des mouvements de capitaux. Les réformes doivent concilier le temps des
apprentissages et la nécessité de casser les rentes politiques par des réformes
radicales. La protection des industries naissantes et la bonification des taux
d’intérêt peuvent produire des effets positifs sans décourager les exportations
et l’entrée de capitaux étrangers.
La
soutenabilité politique des réformes
La Banque mondiale accorde une place importante à la
durabilité des règles, à l'application de sanctions en cas de dérives et à
l'octroi d'incitations diverses en cas de succès, bref à la capacité
institutionnelle d'un État à mettre en place un cadre propice aux affaires et à
l'investissement. Seul un État fort possède cette capacité institutionnelle à
même de lui permettre de mettre en œuvre les réformes. Dès lors, le Sénégal a
besoin d’un État fort, capable de réaliser les réformes nécessaires au Plan
Sénégal Émergent, dans un système démocratique où doivent être bannis le
désordre, l’impunité et l’indiscipline. La démocratie et l’ordre sont bien
compatibles. Le Sénégal a besoin d’ordre pour enfin émerger et se développer.
Si le rejet de l’autoritarisme est clair au Sénégal, il faut toutefois convenir
avec l’enrichissement illicite, la fuite des capitaux et l’étendue de la
corruption, le lit du désordre est installé, et là non plus, ce n’est pas
satisfaisant du point de vue de la gouvernance, de l’efficacité des
institutions et de leur capacité à diminuer les coûts de transaction des
entreprises, sources de la richesse. Un multipartisme peut masquer d’autres
formes larvées d’autoritarisme par le biais de la corruption et de la fuite des
capitaux. Cette fuite des capitaux est un obstacle au développement car c’est
un facteur à l’origine des faibles niveaux d’épargne et d’investissement. Par
ailleurs, elle contribue à la détérioration des performances en termes de
croissance économique. Au Sénégal, la fuite des capitaux est élevée : elle
s’établit à environ 22% du PIB.
La
soutenabilité sociale des réformes
La soutenabilité sociale des réformes s'articule,
dans la pratique, autour de la lutte contre la pauvreté et les inégalités
sociales. La réduction de la pauvreté et des inégalités sociales est nécessaire
à l'éclosion d'une classe d'entrepreneurs efficaces. En effet, une population
instruite, en bonne santé, maîtrisant des technologies nouvelles avec des
infrastructures améliorées ne peut que faire reculer la corruption, l'usage
détourné des finances publiques tout en contribuant à l'extension des droits de
propriété privée par la mise en place de nouveaux projets. Les initiatives
(CMU, bourses familiales) du gouvernement sénégalais sont à renforcer.
Cette contribution ainsi présentée
montre la nécessité de dépasser les aspects financiers et quantitatifs dans le
traitement de la problématique de l’émergence au Sénégal. Il convient donc d’intégrer
les conditions susmentionnées, facteurs
qualitatifs et institutionnels, dans la gestion opérationnelle du Plan Sénégal
Émergent, lesquelles déterminent fondamentalement les succès escomptés.
Dr Omar NDIAYE
Économiste
Convergence des Cadres Républicains / CCR-France
